samedi 18 septembre 2010

The Teahouse of the August Moon - La petite maison de thé

C'est en lisant un document sur Okinawa dans le cadre de recherches pour un mémoire, j'ai découvert un film américain datant de 1956 dont le sujet était l'occupation américaine dans cette région. Sous ses airs de comédie légère sur des autochtones légers se cache une vraie satire et une compréhension profonde de la situation. Ce qui est encore plus rare c'est le sentiment pro-japonais qui se dégage du film, réalisé pas si longtemps après la seconde guerre mondiale.

Le film a été tourné à Okinawa avec des acteurs américains et des okinawais authentiques... sauf Marlon Brando. Même si l'on en parle souvent comme une erreur de casting (miscast), je trouve cet acteur bluffant dans le rôle de Sakini, interprète flegmatique mais dégourdi. Brando est un acteur "méthodiste" (method acting) ou plus précisément un adepte de la méthode Stanislavski et s'est donc selon la légende (et Wikipedia) imposé un entrainement de plusieurs semaines sur place pour obtenir des gestes, des postures et une façon de parler authentiques. Mais surtout s'est entrainé à porter le "maquillage jaune" (yellowface), c'est à dire la technique d'asiatisation hollywoodienne pour rendre "jaunes" les acteurs blancs américains interprétant des chinois ou des japonais etc. La technique existe aussi pour les noirs (blackface) et je vous renvoie aux questions de "White washing" et de "Slanted racism". Pour en revenir à Brando, interpréter Sakini était l'occasion de s'affirmer et de montrer qu'un bon acteur doit être capable de tout jouer même quelqu'un d'une autre race et je pense qu'il a contribué à cette légende de l'acteur universel transcendantal naturellement doué, modèle qui perdure encore aujourd'hui.

A présent le film. Pour faire court : Fisby, un jeune capitaine du service psychologique de l'armée, sensible et intelligent mais inadapté, est chargé de démocratiser le village de Tobiki mais se trouve séduit par les coutumes des habitants, et les aide à construire une maison de thé à la place de l'école prévue par le plan B...

Il se joue entre 2 niveaux, d'une part l'américanisation et d'autre part l'acceptation/profit tiré par les okinawais de la situation, mais aussi, cohabite un troisième niveau plus subtil concernant la différenciation Okinawa/Japon incarné par la jolie geisha. Le choc des cultures nous est d'ailleurs introduit philosophiquement dès le début, Okinawa ou royaume des Ryukyus ayant été tour à tour investie par des pirates chinois, missionaires anglais, shogun japonais et soldats américains.

"La culture s'est apportée à nous. Pas besoin d'avoir quitté la maison pour ça." médite Sakini, vêtu de son jinbei en lambeaux.

Le film est plein de petits sarcasmes et de caricature surtout à l'encontre des américains : la profusion de panneaux indicateurs, l'insistance pour une école en forme de pentagone et le plus drôle, lorsque le colonel Purdy III fait remarquer à Sakini (toujours habillé de haillons) qu'un employé de l'armée américaine doit porter une tenue correcte, c'est à dire les chaussettes remontées jusqu'à mi-mollet.

Même si les insulaires sont décrits comme passifs, paresseux et non civilisés, ils sont à l'origine de tous les mots d'esprits du film tandis que les américains, sensés être "extrêmement civilisés" et messagers de la démocratie (mission que se donne les USA depuis 200 ans), se font manipuler doucement et retourner leurs principes contre eux. D'ailleurs le modèle qu'ils proposent devient vite une parodie servie par des incompétents, par exemple le moment de l'élection municipale à Tobiki, les femmes du village réclamant la même "discrimination" que pour la geisha etc.

"Elle dit que vous leur avez promis que tout le monde serait égal, boss"
"1. Des trucs rouges pour mettre sur les lèvres comme la geisha. 2. Des trucs qui sentent très bon."

La geisha est d'ailleurs l'élément perturbateur du bon fonctionnement de la démocratie (elle n'est apparemment pas à son premier sabotage). Elle incarne la véritable culture japonaise, qui est pour les okinawais la vraie civilisation. Elle fini d'ailleurs par donner des cours aux femmes de la ligue. Le modèle américain proposé consiste à chercher des choses à fabriquer et à vendre, l'industrialisation, singer un mini gouvernement et une école pour américaniser les petits japonais. Alors que ce que veulent vraiment les habitants de Tobiki c'est le syncrétisme de l'élégance, la subtilité de la culture japonaise avec celle de la tradition d'Okinawa. Ce que fait remarquer Sakini en disant que ce que les gens veulent n'est pas une inutile école en forme de pentagone, mais une vraie maison de thé qui leur donnerait un certain prestige comme à la ville.

Le capitaine Fisby peu à peu comprend et respecte les coutumes japonaises au-delà du stéréotype comme le montre la scène dans laquelle Sakini lui explique le rôle d'une geisha qui est plus celui d'une dame de compagnie qu'une courtisane. Il est totalement séduit et se prend tellement au jeu des traditions locales qu'il va même jusqu'à vêtir sa robe de chambre en guise de kimono ou encore prendre plaisir à regarder le soleil se coucher. Et lorsque que le capitaine Mc Lean est envoyé afin de vérifier la bonne marche de la démocratie, Fisby réussit même à le convaincre et trouve un moyen de le faire rester (un potager bio expérimental qui peut être au fond une variante du paradis pastoral cher aux américains).

Fisby pensait que c'était une coutume de paresseux, mais il a finalement appris à contempler la beauté de la fin du jour.

La scène de la maison de thé est surprenante. On nous montre les danses traditionnelles d'Okinawa suivies de la danse de la geisha sans distinction mais plutôt comme une unité (ce dont se targue Okinawa c'est bien l'assimilation de cultures). Mais lorsque c'est le tour des Américains, ils n'arrivent qu'à montrer un chant convivial mais qui reste tout de même d'un niveau peu élevé. D'ailleurs, lorsque que les villageois ont tenté de vendre leur produits artisanaux les américains leur ont rit au nez, ne s'intéressant qu'au brandy fait maison avec des patates douces.


L'ouverture de la maison de thé est le point culminant du film, c'est lorsque l'on croit que les okinawais ont pu obtenir ce qu'ils voulaient que le colonel Purdy découvre tout et demande la destruction immédiate de ce qu'il croit être une maison de débauche. Tout s'arrange évidemment, les okinawais étant plus malins et s'arrangeant pour faire croire à l'envahisseur sa résignation.

La conclusion du film est que Tobiki est devenu un exemple d'intégration, ce qui est quand même un comble car ils sont déjà chez eux mais je pense qu'il faut surtout le comprendre comme terrain d'union ou compromis entre culture autochtone persistante et règles du vainqueur. L'histoire entre Lotus Blossom (la geisha) et Fisby représente bien cela, ils peuvent s'entendre car il aime profondément la culture japonaise ou okinawaise et la geisha aime la manière dont il la respecte.

Malgré quelques petites erreurs dans les kanjis du titre du film, et la question de "yellowface", la culture japonaise et okinawaise sont assez bien représentées sans amalgame et la langue japonaise assez exacte. Le film est subtil et drôle, et est également adapté du pulitzer éponyme, n'est-ce-pas un signe de qualité ?

6 commentaires:

Tibo a dit…

Tu me coupes l'herbe sous le pied, j'ai en préparation un petit dossier sur Okinawa au cinoche :)

Marrant, je l'ai pas trouvé "subtil", mais alors pas du tout !
Les gags sont assez basiques et les personnages définis grossièrement.

C'est dommage que tu parles pas du ressort comique sur le communisme (qui est selon moi le plus drôle) qui est en plus une des raisons de la présence US.

T'as trouvé la raison pour laquelle l'auteur a plutôt choisi de parler d'un brandy distillé à partir de patate douce, plutôt que de l'awamori ?

Kani a dit…

Je le trouvais subtil pour les gens qui ne connaissent pas Okinawa. Remis dans dans son contexte, je l'ai trouvé subtil pour l'époque, il ne présentait pas les asiatiques comme des sales jaunes par exemple. Surtout que l'adaptation française est affligeante (l'accent japonais en particulier).

Pour ce qui est du communisme j'ai complètement zappé car j'ai vu ce film y'a déjà plusieurs mois ! Mais c'est vrai que c'était tellement évident ça aurait mérité un mot dessus.

Quant à la question de l'awamori je ne me suis même pas posé la question, je m'étais dit que c'était juste une adaptation grossière pour que les gens comprennent.

En tout cas j'ai hâte de voir ton dossier ciné sur Okinawa !!

Tibo a dit…

Au contraire, même si le livre (et par extension la pièce et le film) est une charge contre l'attitude néo-coloniale US, il perpétue une certaine vision de l'époque. Dès le prologue (ie le monologue de Sakini) il présente des Okinawaïens sujets et non acteurs de l'histoire, ce qui est d'ailleurs historiquement faux.
Tout le long du film, les habitants sont plutôt présentés comme des "enfants" se jouant avec malice de l'autorité.

C'est certes pas aussi caricatural que le discours officiel de l'époque (le fardeau de l'homme blanc amenant la civilisation ...), mais pour la subtilité, c'est pas gagné. Après on est d'accord, les habitants ne sont pas dépeints comme d'"infâmes jaunes sournois".

Pour le dossier, faut pas être pressé, j'ai juste des idées en tête (et quelques films, mais pas assez).

Kani a dit…

Oui c'est vrai vu comme ça c'est assez gros, mais je pense que le propos du film ne pouvait pas présenter avec réalisme les okinawais en terme d'identité de revendication active, militantisme etc (le film ne traite que de l'aspect culturel "facile").

Je n'ai pas lu le livre ni vu la pièce de théâtre donc je ne peux rien dire à ce sujet sauf que l'histoire me semble un peu différente.

En fait ce que je trouvais subtil c'était le jeu entre la vision américaine du bon sauvage et du fait que les habitants de l'ile en jouent. Ils sont présentés de façon attachante et dans un contexte comique sans méchanceté ni but de rabaissement. Mais je suis sûrement la seule à penser ça lool !! Et puis ils ont fait la distinction métropole/okinawa, c'est pas si mal.

Pour ce qui est des films sur Okinawa, à part Guerre des gangs, je n'en ai pas vu. Sinon j'ai entendu parler de Level Five, mais il ne m'intéresse pas trop... Donc j'attends toujours avec impatience ton dossier ! Allez t'as le temps maintenant que t'es fraichement diplômé !!

Tibo a dit…

"Et puis ils ont fait la distinction métropole/okinawa, c'est pas si mal."

Je tique sur cette phrase, heureusement qu'ils la font cette différence !!! Vu que pour servir leurs politiques les Américains insistent sur la différenciation entre Okinawa et le Japon. Comme t'as dû le voir, c'est pas anodin si en 46, "Okinawa" disparaît au profit de "Ryukyu" dans la terminologie officielle.

Ils considèrent les habitants comme différents tandis-ce qu'eux même(les Okinawaïens) se définissent comme Japonais. Les habitants abandonnent très vite l'idée d'indépendance, qui leur avait pourtant été "proposée".

Sinon, vu que le roman est une satire de l'occupation US, c'est normal que les militaires passent un peu pour des buses.

Anonyme a dit…

Today is ethical indisposed, isn't it?